VENDRE SUR VINTED IS THE NEW «PORTER UNE JUPE DANS LE MÉTRO EN HEURE DE POINTE»

En ces temps de ciel blanc mollard à base de crachin matinal et d'entassements ferroviaires, le mood est aux rêveries ensoleillées et le printemps arrive avec ses grands souliers de pollen. Comme il était temps d'ordonner ma vie et me sortir d'une hibernation maladive, j'ai décidé de vendre mes achats compulsifs jamais portés sur une appli que tout le monde connaît : Vinted. Messages chelous, drague crade, témoignages consternants, tangas odorants ; j'ai plongé deep dans la face sombre du site de seconde main (et plus). 

Tout a commencé par une matinée de déter post-nuit de beuverie nocturne à se cailler les phalanges en terrasse, le genre de coup de boost du crépuscule qui te fait écouter ta raison, cette voix parentale intérieure t'imposant des trucs relous mais nécessaires. Après des heures de farfouillage de cave, de poses naturelles forcées et de tris de photos, j'ai posté des articles sur Vinted dans l'espoir d'en tirer quelques deniers, et j'ai attendu. Une notification m'a d'abord informé que j'avais reçu un message étrange d'un compte sans avis, me demandant « plus de photo porté svp », mais j'ai ghosté la discussion sans trop y prêter attention, me concentrant plutôt sur l'expectative de renflouage de mon porte-monnaie virtuel qui affichait toujours 0€. Puis s'est invitée dans ma boîte de réception le genre de manifestation beauf intrusive dont j'avais déjà fait les frais lors de rassemblements sociaux dans des lieux publics tels que les clubs, les bars, les restaurants ou encore les transports en commun. Certes, le message de « jesierskilukas » avait tout de la demi-molle adolescente boutonneuse au rire muant, inoffensive, informe, inutile, mais elle était là, et ma vision de la plateforme venait de changer de teinte comme un souvenir d'enfance souillé par le constat amer d'un monde sans pitié ni Père Noël. 

Dérivant de mon objectif premier de faire de la thune, j'ai sondé autour de moi des amies, amies d'amies, connaissances de potes, et évidemment, je n'étais pas la seule à qui même l'appli la plus friendly de revente de fringues avait fait défaut. Elena, 24 ans, avait déserté la plateforme parce qu'elle avait la flemme de déposer ses colis chez Mondial Relay, mais pas que. Un jour qu'elle épluche une pomme, elle est interpellée par le message suivant sur Facebook : « Salut ! Je te contacte par rapport au body que tu as mis en vente sur Vinted, j'aurais besoin de plus de photos, c'est pour ma copine, t'inquiète c'est pas pour moi. ». Elena a grimacé et n'a jamais donné suite à ce type qui avait réussi à la retrouver sur un autre réseau que Vinted (cringe x2000), et qui semblait mentir allègrement dans l'espoir d'obtenir des photos, voire plus. Loana a 23 ans, elle reçoit régulièrement des approches furtives à base de catch-phrases basiques de drague comme « Jolie dans ce petit haut moulant », « Tu as transpiré dedans ? », ou encore « slt ça va ? T'es grave belle » ; elle continue d'utiliser l'appli parce que c'est pratique, et gère ses commandes dans le flot sinueux des sharks du web en feignant de ne rien voir. Mais quand Margaux m'a confié son expérience, la glauquerie a entrouvert sa porte de derrière pour dévoiler un genre de bar caché du bresson de la toile, sorte de darknet légal décomplexé aux yeux du monde. 

« J'ai été harcelée sur Vinted. Mais pas par un ou deux mecs. C'était tout un groupe qui semblait se faire passer mes photos. ». Après quelques recherches, Margaux a découvert que son profil faisait l'objet d'une discussion sur le forum d'un site de voyeurisme et d'exhibitionnisme. « Ils créent des forums où ils se partagent des profils Vinted qui, je cite avec leurs mots, « s'exhibent sur les sites d'annonces », donc ils pensent qu'on le fait exprès, comme si c'était un jeu et qu'on faisait en sorte d'avoir les tétons qui pointent et de les exciter, alors que non, j'ai juste froid parce que j'ai pas de chauffage chez moi. ». En allant faire un petit tour de plaisance du côté du site en question, bobvoyeur.com (attention, site au contenu pour adultes), j'ai tapé Vinted dans la barre de recherche et je suis tombée sur plus d'une centaine de pages de discussions entre couillasses, et, site d'exhib oblige, truffées de photos-avatars-pénis. Le forum s'appelle « exhibition dans des sites d'annonces en tous genres » et réunit des amateurs de photographies qu'ils considèrent comme subtilement sexuelles, mais le panel est exigeant, parce que « Franchement des femmes en maillot de bain ça m'excite pas. ». Aucune des utilisatrices qui se sont confiées n'a voulu dénoncer le problème, sauf Margaux qui s'était confrontée à ses stalkers qui l'ont décrit comme « une challengeuse dans la catégorie tétons qui pointent ». Elle a contacté Vinted et Pharos, la brigade de l'Internet, mais le verdict est sans appel : les photos sont publiques et peuvent être utilisées librement sur d'autres plateformes que Vinted. Le site bobvoyeur.com a proposé de supprimer le post concernant Margaux, mais pas la discussion de 151 pages. 

En retournant à la source de cette épopée déconcertante, j'ai à nouveau regardé les messages reçus sur la plateforme de seconde main, dont un, en espagnol, qui me demandait si le vêtement avait été porté. J'ai ensuite relu les captures d'écran envoyées par Elena et son creep de Facebook, qui avait voulu acheter son body par PayPal. Je suis ensuite retournée sur le site des teubs décomplexées et j'ai relu en diagonale avant de tomber sur un message qui venait boucler toute la boucle d'un système sous mes yeux depuis le début de mon périple ; les gars ne cherchaient pas qu'à mater, mais aussi à acheter les vêtements déjà portés. Tout cela me rappelait qu'il existait déjà des sites de revente de petites culottes et que certain.e.s en avaient fait leur business en bonne âme et conscience. En cliquant sur des liens du forum des voyeurs détendus du gland, j'ai constaté que quelques madames averties profitaient des failles du système pour vendre leurs strings odorants en soum-soum, et que Vinted n'échappait pas au chémar juteux, mais cela restait une minorité, le reste des vendeuses souhaitant tout simplement (même si c'est déjà trop demander) donner une seconde vie non-fétichisée à leurs fringues. De tout ce foutoir désolant des Internets, on ne sait pas trop ce qu'il faut retenir ; que l'homme a troqué ses branlettes hebdomadaires sur les pages de La Redoute pour une version digitale de corps féminins parfois même pas majeurs, que des mecs pensent encore que tout tourne autour de leur zgeg en forme de panais fatigué ou que les femmes ne peuvent même plus faire leur biff tranquille au chaud sur le canapé après une journée d'inégalité salariale banalisée. 

Par Vanille Delon.