CHAUSSETTES-PARTY : EST-ON VRAIMENT D'ACCORD AVEC CETTE INFAMIE ?

Dans les chaumières animées, loin des regards bien-pensants, se joue le curieux spectacle de soirées où les gens se déchaussent sans complexe comme si la vie n'était qu'un grand tatami transpirant de vérité. Qui m'aurait dit que la même nuit où je découvrirais l'existence des coussins pour coudes, j'allais questionner mes choix de vie ? 

Le week-end dernier, après quelques drinks servis par Rosario du Café de La Poste, j'ai suivi toute une bande de joyeux lurons artsy pour un intime rassemblement au sein d'un grand appartement à moulures. Une fois passée la porte, mon oeil s'est posé sur cette enfilade gargantuesque de chaussures plus stylées les unes que les autres. La propriétaire est arrivée entourée d'une aura namaste-esque en nous sommant, tout sourire bienveillant, de retirer nos godasses dégueulasses, et j'ai tiqué. J'avais peaufiné mon outfit des oreilles jusqu'au bout des orteils sans penser à la sous-couche de mes bottines de bratz des 90s, et tandis que je dézippais mes bébés, je sentais lentement mon swag se dérober sous mes chaussettes gris-dépression-décathlon.

En entrant dans cette pièce chaussurophobe, les gens avaient l'air tellement à l'aise qu'on aurait presque pu oublier les dégaines molles que composait ce tableau grotesque, mais non. Parmi ces individus décontractés de l'orteil, on pouvait croiser Clotilde, chaussettes en maille de Serbie à motifs de Noël, qui fume des roulées en se caressant la tresse. Ou bien ce type qui avait l'air trop cool au bar avec ses Prada en cuir à bout carré et mini-talons clinquants, qui errait maintenant en traînant ses Artengo blanches éreintées par la vie. J'ai pensé, peut-on choper sans chaussure à son pied ? Quelle barrière de l'intime est-on en train de violenter ? Et finalement, ces pauvres savates expensive délaissées ne seraient-elles pas l'incarnation de notre égo fragilisé ? 

Je n'avais pas envie d'être une babtou fragile, alors j'ai tenté de me détendre, parce que passer une soirée sans shoes, c'est forcément allier proximité, vérité et relaxation de la voûte plantaire. J'ai réalisé une chose ; nous étions tous égaux, à fouler ce parquet glissant sous nos coussinets, dans une quête de vérité accélérée par une mise à nue pédestre. Et cette femme solaire qui nous accueillait tantôt en nous donnant l'ordre de nous déchausser, c'était le guide initiatique qui nous permettait d'accéder à ce moi social sincère que ma psy avait tenté de déraciner, en vain. Clopinant dans une totale légèreté de notre être, nous (puisque l'individualisme du chaussé laissait place au « nous » d'unité désarmée) partagions à présent plus que des liqueurs, des clopes ou des small-talk de cuisine ; nous étions cette communauté autonome libérée du poids sociéto-schématique en place depuis des siècles. Des hippies, en gros. Cette nuit-là, j'ai pataugé dans une flaque collante, j'ai piétiné des miettes de verre et j'ai dansé en utilisant tous mes os métatarsiens. En re-zippant mes bottes, je jetais un dernier regard sur l'étendue cauchemardesque que j'avais acceptée comme ma patrie pour un temps, un lieu, et je repartais fière, honteusement excitée de cet instant de vie BDSMesque. Sans avoir pécho. 

Par Vanille Delon.